Christophe Vootz / photographe portraitiste
À propos de Half monster, half god
Genesis
Half monster, half god est une galerie de portraits d’une humanité en mutation.
Les corps que l’on y découvre se dépassent eux-mêmes : plus puissants, plus tendus, alertes et effrayés. Leur apparence est un rien au-delà du physique particulier, ils sont ce que l’on pourrait devenir après une première mutation. Ils n’incarnent pas uniquement un avenir proche mais ils sont aussi une éventualité plausible. Les visages se donnent à voir tendus par la peur, la haine, par l'effarement. Les regards brillent de méfiance et d’avidité. Ces faces rudes et douloureuses interrogent un monde qui ne leur est pas encore révélé. La tension est le moteur de cette humanité nouvelle.
Cette mutation est intrinsèque au corps humain. Pas de machine, pas d’expérience scientifique, pas d’être venus d’ailleurs : le corps modifie le corps par ses gènes, par ses cellules. La chimie, la nature, l’inexpliqué transforme le corps. Cependant ces mutants ne restent pas sans rappeler des figures connues : démons, gnomes, djinns, masques africains et autres figures d'une humanité fantastique qui perdure.
L’intelligence artificielle aurait pu trouver sa place dans ces métamorphoses, ces transformations, ces lumières et ces espaces vides de toutes matérialités. Et pourtant, Half monster, half god est le résultat de la main humaine prolongée par des outils électroniques.
Ce qui ressemble à l’humain avec des caractéristiques nouvelles est appelé monstre.
Ce qui intervient dans le monde sans explication rationnelle est appelé divin.
Etymologiquement, le monstre désigne d’abord un prodige, un fait ou un être sortant de l’ordinaire, un avertissement divin. Monstrum, en latin. Depuis l’antiquité, le monstre joue un rôle dans les relations qui unissent l’humanité aux dieux. Ce ne sont pas seulement des créatures, mais aussi des demi-dieux voire parfois des dieux à part entière. Ces dieux monstrueux témoignent de peurs profondes : peur des éléments déchaînées, peur de la nuit et des forcent qui l’habitent. ¹
Le parallélisme entre notre époque et la fonction du monstre s’impose comme une évidence.
La pandémie, les guerres, les crises économiques : voici rassemblés tous les éléments nécessaires pour qu’une fiction puisse rejoindre les rangs de la réalité.
L’état du monde actuel est une source fabuleuse de réflexion pour la création d’un univers en mutation. Cependant Half monster, half god a sa propre vérité et n’est en aucun cas une allégorie même si les monstres sont le miroir déformant dans lequel se reflète notre réalité.
Half monster, half god, c’est aussi la beauté, l’attraction, une forme de raffinement. Ces nouvelles proportions physiques imposent une dimension sexuée. Les corps sont nus et offerts. Les lumières apparaissent luxueuses, colorées, caressantes et mystérieuses. L’univers se révèle sombre et profond. Ces monstres proposent de nouveaux canons de beauté. Leur force, leur puissance et leur apparence nouvelle font naître l’attrait sexuel, la volonté de ressemblance ou de possession mais aussi la crainte de l’affrontement. Il est question d’attraction-répulsion. Il est question de facination.
Les dieux du voisins ou de l’ennemi paraissent souvent monstrueux à qui ne les adore pas. ¹
L’humanité n’est jamais aussi belle que dans la démonstration de son acharnement dans des situations perdues d’avance : la mère qui brave l’impossible pour sauver son enfant, l’homme terrassé qui se relève pour combattre un ennemi trop puissant ou encore l’enfant figé face à une situation qui dépasse grandement son entendement…
C’est de cette beauté que les êtres de Half monster, half god sont investis : imprégnés de grandeur, de puissance, de rage, de peur, de désespoir et de sensualité.
« … Il me sera aisé plus tard de me rendre compte que le mal et la beauté constituent les deux extrême de l’univers vivant, c’est-à-dire du réel. Je sais donc que désormais, il me faudra tenir les deux bouts : en ne traitant que l’un et en négligeant l’autre, ma vérité ne sera jamais valable. Je comprends d’instinct que sans la beauté, la vie ne vaut d’être vécue, et d’autre part une certaine forme de mal vient justement de l’usage terriblement perverti que l’on fait de la beauté. ». (Extrait de « La première méditation » de « Cinq méditations sur la beauté » de François Cheng – académie française)
Half monster, half god n’interroge ni le bien, ni le mal. Ces monstres provoquent inévitablement des sentiments, des impressions. Seul le spectateur pourra se faire une opinion. L’angoisse des visages et la tension des corps nus se veulent un rempart au jugement moral. Ces monstres sont emprisonnés dans la durée d’un instant. Comment pouvoir les juger sans connaître la réalité de leurs angoisses ? Ces monstres nous obligent à nous projeter en eux.
Half monster, half god est une galerie de portraits d’un monde nouveau, une nouvelle tribu. Contrairement à la traditionnelle fonction des monstres (d’être des repoussoirs, des êtres qu’il faut dompter pour en sortir grandis), ici, on note une inévitable attraction visuelle, cette volonté de leur ressembler, de leur appartenir, de les posséder, de les phagocyter. Le mi-monstre mi-dieu est présenté comme un avenir craint et désiré à l’instar d’un amour naissant. Le traditionnel monstre avide de sang et de chaires fraîches cède la place pour devenir la victime d’une humanité aux désirs ardents et terrorisés.
Ch. Vootz
¹ : Laurent Lemire (Journaliste à L’obs et Livres Hebdo) et Laurent Vissière (Maître de conférence à la Sorbonne) – texte : L’humanité en large et dans ses travers pour la revue Historia